Les personnes intersexuées, comme toute autre population, présentent une grande diversité d'orientations et de comportements sexuels. L’expérience subjective de la sexualité chez les personnes intersexuées est influencée par leurs interactions avec les professionnel·les de santé, leurs parents, ainsi que la société dans son ensemble, qui peuvent leur imposer des normes et des attentes spécifiques. Ces normes et attentes peuvent se traduire par de la stigmatisation, du harcèlement, voire des interventions médicales non-consenties souvent assimilées à des mutilations, qui engendrent chez les personnes concernées des sentiments de honte, de confusion ou de détresse et ont des conséquences durables sur leur intimité et leur bien-être sexuel.
Il est cependant important de ne pas généraliser les expériences des personnes intersexuées. Chaque personne a un parcours unique, avec ses propres vécus et ressentis en matière de sexualité. Bien que certaines personnes puissent être affectées par les traitements médicaux qu'elles ont subi, d'autres vivront leur sexualité d’une manière qui n’est pas directement influencée par leur intersexuation.
Les interventions médicales imposées aux personnes intersexuées visent à rendre possible un coït hétérosexuel pénétratif, tout en se concentrant principalement sur la fonction sexuelle plutôt que sur le plaisir. Cette démarche naît d'une vision hétéronormée de la sexualité qui centre la pénétration dans tout rapport sexuel. Cette vision dévalorise la sexualité entre personnes à vulve en considérant que l’absence de pénétration vaginale implique l'absence de "vraie" sexualité et réduit les relations sexuelles phalliques au cliché très répandu “pénétrant/pénétré” ou “passif/actif”.
La médecine n’envisage donc la sexualité des personnes intersexuées qu’à travers le prisme de la pénétration : lorsque leurs organes procréatifs ne permettent pas ou rendent difficile la pénétration, il est supposé qu’elles ne peuvent pas avoir de rapports sexuels "réels". Les professionnel·les de santé ont alors recours à des interventions chirurgicales ou des traitements hormonaux pour “masculiniser” ou “féminiser” les corps des personnes intersexuées, afin qu’elles puissent rentrer dans les rôles sexuels hétéronormés qu’on leur a assigné à la naissance.
Malgré les promesses médicales d’une vie affective et sexuelle satisfaisante, les études montrent que les taux de satisfaction et de pratiques sexuelles chez les personnes intersexuées sont bien inférieurs à ceux de la population générale. De nombreuses personnes intersexuées ayant subi ces interventions évitent par la suite toute activité sexuelle par dégoût pour leur corps ou suite aux douleurs engendrées par les interventions, ou développent un syndrome de stress post-traumatique qui mène parfois à des comportements autodestructeurs.
Toutefois, les personnes intersexuées ayant subi des interventions médicales et les injonctions qui en découlent tentent souvent de se conformer aux normes hétérosexuelles, malgré les douleurs et le manque de plaisir. Ne pas pouvoir répondre aux attentes genrées de la société et être perçu·e comme "un vrai homme" ou "une vraie femme" peut entraîner des sentiments de honte et d’inadéquation. Dans ce contexte, il peut être difficile pour les personnes intersexuées de reconnaître et d’accepter une attirance non-hétérosexuelle. D’autant plus qu’il arrive qu’un·e jeune intersexué·e ne s’identifiant pas comme hétérosexuel·le soit placé·e en thérapie, une autre forme de sexualité étant perçue par le corps médical comme un “échec” dans la “normalisation” de la personne intersexuée.
A l’inverse, la stigmatisation des intersexuations pousse certaines personnes concernées à rejeter les normes hétérosexuelles et à explorer leur orientation sexuelle hors de celles-ci. Pour se libérer des codes hétéronormatifs, les personnes intersexuées tendent parfois à imaginer de nouvelles façons d’érotiser leurs pratiques sexuelles et de se rapprocher des codes de sexualité queers, où l’accent n’est pas mis sur la pénétration. En cessant de penser la sexualité en termes binaires, un éventail plus large de pratiques sexuelles et de relations érotiques s'ouvre. Cela inclut des relations sans pénétration, des rapports où l'orgasme n'est pas un objectif fixe et une approche différente de la sensualité.
Comme nous l’avons abordé dans l’article Impact des interventions médicales sur la vie quotidienne, les interventions médicales de "normalisation" ont des répercussions profondes sur la santé physique des personnes intersexuées, qui se répercutent sur leur vie sexuelle. Les chirurgies de "féminisation" ou de "masculinisation", souvent réalisées en bas âge, doivent être répétées tout au long du développement de la personne, laissant derrière elles de nombreuses cicatrices qui augmentent le risque d’inflammations et d’infections, en particulier les infections urinaires.
Ces interventions réduisent aussi les capacités de ressentir du plaisir sexuel et entraînent fréquemment des douleurs chroniques et des complications à long terme. Bien que les chirurgien·nes affirment que les techniques modernes minimisent la perte de sensibilité, il est en réalité impossible d’éviter complètement les dommages nerveux. Dans le cas des clitoridectomies (ablation ou réduction du clitoris), le plaisir sexuel futur du/de la patient·e n’est pas du tout pris en compte. Les conséquences physiques des interventions incluent souvent des difficultés à atteindre l’orgasme, des infections vaginales ou des problèmes d’érection. Une majorité de femmes intersexuées opérées rapportent des douleurs et des saignements lors des rapports sexuels pénétratifs.
Au-delà des conséquences physiques, les interventions de “normalisation” affectent profondément l'état psychique des personnes intersexuées. En altérant leur capacité à ressentir du plaisir et à utiliser leurs organes procréatifs de manière fonctionnelle, ces interventions perturbent également la relation que ces personnes entretiennent avec leur propre corps. La médicalisation excessive et les décisions souvent prises sans consentement éclairé dès l’enfance contribuent à une perception du corps marquée par la honte et la souffrance.
En outre, le manque de représentation positive des corps intersexués et leur stigmatisation par le corps médical et l’entourage marquent profondément le rapport que les personnes intersexuées entretiennent avec leurs corps et leur sexualité. Les images pathologisantes, parfois déshumanisantes, la discrimination voire le harcèlement dont elles font l’objet contribuent à la construction d’une mauvaise image et estime de soi.
Ce rapport altéré au corps et à la sexualité peut entraîner un profond sentiment de honte voire de tabou, ce qui peut rendre difficile la prise en charge de leur bien-être, tant sur le plan de l’hygiène que de la santé mentale. Les difficultés à exprimer leur consentement rendent également les personnes intersexuées plus vulnérables face aux agressions sexuelles. Le stress post-traumatique, dont souffrent de nombreuses personnes intersexuées, peut par ailleurs les conduire à adopter des comportements sexuels à risque.
La honte liée à leur intersexuation peut également constituer un obstacle majeur dans leurs relations sentimentales et sexuelles. Les personnes intersexuées se sentent isolées et éprouvent des difficultés à établir des liens avec les autres, à se sentir intégré·es. La sexualité peut, pour certain·es, devenir un moyen de restaurer une image de soi endommagée en se voyant comme désirable aux yeux d’un·e partenaire. Cependant, cette quête de validation peut devenir problématique si la personne a du mal à faire respecter ses limites, que ce soit en termes de pratiques sexuelles acceptées, d'utilisation de matériel de protection, etc. Le body-shaming, qui dévalorise les corps non conformes aux normes sociales, peut amener les personnes intersexuées à penser qu'elles ne sont pas en position de négocier leurs désirs et leurs limites, par crainte de ne pas trouver de partenaire en cas de refus.
Il est important de rappeler que chaque personne a son propre rapport à la sexualité. Toutes les personnes intersexuées n’ont pas vécu les mêmes types de violences et leurs réactions face à celles-ci varient. Certain·es peuvent avoir des sexualités épanouies et y trouver un moyen de soigner leur blessures psychiques, tandis que d’autres peuvent ressentir le besoin d’un accompagnement vers une sexualité satisfaisante, et d’autres encore se définissent comme asexuel·les. Chacun·e a le droit d’explorer sa propre sexualité sans jugement ni pression.
En raison de l’invisibilisation des personnes intersexuées, il n'existe pas de données spécifiques sur la propagation et le traitement des infections sexuellement transmissibles (IST) dans cette population, mais plusieurs facteurs suggèrent qu’elles pourraient être plus vulnérables à ces infections.
Une des raisons majeures de cette vulnérabilité réside dans le manque de sensibilisation et d'éducation adaptées. De nombreuses personnes intersexuées ne sont pas suffisamment informées sur les risques d’IST et peuvent croire, à tort, que leurs pratiques sexuelles ne les exposent pas à ces infections. C’est particulièrement le cas pour les personnes intersexuées dont les pratiques sexuelles les exposent à différentes communautés (lesbiennes, gays, trans*, etc). Elles n’auront pas forcément conscience que le niveau de prévention recommandé change selon la communauté. Il est pourtant essentiel que les spécificités de prévention propres à chaque groupe soient prises en compte.
En raison des mutilations génitales qu'elles ont subies, les personnes intersexuées ont souvent une sexualité moins génitale et privilégient les pratiques sexuelles orales ou anales. Or, de nombreuses IST, comme la gonorrhée ou la chlamydia, peuvent être asymptomatiques lorsqu'elles affectent la gorge (pharyngées) ou la région ano-rectale, ce qui retarde leur détection par rapport aux IST génitales qui sont généralement repérées plus rapidement. Les comportements sexuels à risque peuvent également augmenter la vulnérabilité aux IST chez les personnes intersexuées.
De plus, le matériel de protection est principalement conçu pour les corps dyadiques et ne prend pas en compte les spécificités corporelles des personnes intersexuées. Par exemple, les préservatifs externes standards ne sont souvent pas adaptés. Il existe cependant des préservatifs et autre matériel de protection adaptés, disponibles sur des sites spécialisés, ainsi que des prothèses et des applicateurs pour mieux répondre aux besoins des personnes intersexuées. L'utilisation de lubrifiants à base d'eau est également recommandée, car ils sont moins allergènes et plus sûrs pour le matériel de protection.
Une autre difficulté réside dans le fait que les campagnes de prévention des IST sont principalement orientées vers les hommes gays cisgenres, au détriment des autres minorités. Une meilleure prise en charge inclurait la mise en place de campagnes spécifiques à ces publics ainsi que l’adaptation du matériel de protection et des fréquences de dépistage aux besoins des personnes intersexuées.
La méconnaissance des intersexuations parmi les professionnel·les de santé et de prévention pose également problème. Les personnes intersexuées peuvent recevoir des accompagnements inadaptés, ce qui limite leur accès à une sexualité safe. Dans certains cas, des traitements inappropriés peuvent leur être prescrits, notamment lorsque des interactions entre les traitements antirétroviraux et les traitements hormonaux de substitution ne sont pas prises en compte. Une meilleure formation des professionnel·les est donc nécessaire pour offrir un accompagnement médical et préventif qui tient compte des spécificités des personnes intersexuées.
Pour de nombreuses personnes intersexuées, leur variation ne les empêche pas de procréer et de devenir parents biologiques si elles le souhaitent. Pour d’autres personnes concernées, la procréation “naturelle” est difficile, voire impossible, en raison de leur variation innée ou des interventions médicales subies. Cependant, la parentalité ne s’arrête pas à la procréation et d’autres options peuvent être envisagées.
L’une des pratiques médicales les plus problématiques concerne l’ablation des gonades internes (gonadectomie) chez certaines personnes intersexuées. Cette intervention, réalisée majoritairement sans consentement éclairé sur des enfants en bas âge, prive les personnes concernées de la possibilité d’utiliser leurs propres gamètes pour procréer. Ces pratiques soulèvent d'importantes questions éthiques, notamment en ce qui concerne le respect de l'intégrité corporelle et de l'autonomie reproductive.
Pour certaines variations, il est possible de recueillir des gamètes avec un accompagnement médical intensif. Des techniques telles que la cryoconservation du cortex ovarien, des ovocytes, des spermatozoïdes testiculaires ou du tissu testiculaire sont déjà bien maîtrisées, notamment dans le cadre des traitements pour des mineur·es atteint·es de cancer. Cependant, ces options ne sont que rarement, voire jamais, proposées aux personnes intersexuées faute d’information et de sensibilisation, ce qui constitue une autre forme de négligence dans l’accompagnement de leurs droits reproductifs.
Pour de nombreuses personnes intersexuées, la possibilité d’avoir un enfant existe également grâce aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA), telles que le don de sperme, le don d’ovocyte, ou encore le double don combiné à une fécondation in vitro (FIV). Cependant, ces options ne sont souvent pas assez mises en avant et les personnes intersexuées se retrouvent mal informées sur leurs droits et leurs possibilités de fonder une famille. Face aux obstacles anticipés, comme les coûts financiers ou les démarches administratives, beaucoup de personnes renoncent à ces solutions, alors qu’un accompagnement adéquat pourrait les aider à envisager sereinement la parentalité.
L’adoption reste également une voie ouverte pour les personnes intersexuées qui souhaitent fonder une famille. Bien que l’adoption ne soit pas un parcours simple, il peut être encore plus complexe pour les personnes intersexuées suite à la stigmatisation dont elles sont victimes. Accompagner et soutenir les personnes intersexuées tout au long du processus et les informer au mieux sur les options qui s’offrent à elles est donc essentiel.
Raz Michal et Petit Loé (2023), Intersexes : du pouvoir médical à l’autodétermination
CIA-OII France (2022), Enjeux médicaux et psychosociaux pour les patient·e·s intersexes
CIA-OII France (2024), La santé mentale des personnes intersexes, comprendre et accompagner
Témoignages et Savoirs Intersexes (2017), Les intersexes, le VIH-SIDA et les IST
Raz Michal (2016), Qualité de vie et fertilité dans les études de suivi des personnes intersexuées
Jacquet Loïc (2008), La réinvention de la sexualité chez les intersexes
Petit Loé (2018), De l'objet médical au sujet politique : récits de vies de personnes intersexes