Le terme “queer” (prononcé comme “cuir”) est un mot tiré de l’anglais. Il a été popularisé dans le monde francophone grâce à des activistes s’inspirant du monde anglo-saxon, mais aussi grâce à la popularité du sigle “LGBTQIA+”, la lettre Q indiquant les personnes queers (et parfois également les personnes en questionnement).
Il est difficile de donner une définition précise du terme “queer”, et c’est voulu. Le terme revendique justement une abolition des définitions trop strictes qui restreignent l’expression personnelle. Certain·e·s vont jusqu’à dire que définir “queer” est impossible, que ce mot n’existe qu’en creux, comme négatif aux normes cis, hétéro, etc. auxquelles le terme s’oppose. Nous vous proposons ici plutôt de distinguer trois usages différents du mot “queer”.
En anglais, le mot “queer” signifiait originellement “étrange” ou “bizarre”. À la fin du XIXème siècle et au cours du XXème, ce terme bénin commença à prendre une nouvelle signification. Il fut alors utilisé de manière péjorative pour désigner les personnes homo- et bisexuelles, trans ou non-conformes dans leur expression de genre. Au fil des décennies, certaines personnes ont cependant décidé de se réapproprier cette insulte. C’est de ce retournement de stigmates que provient l’utilisation de “queer” comme marqueur d’identification et donc son inclusion dans le sigle LGBTQIA+.
Il est important de noter que le retournement de stigmate a aussi son pendant francophone, avec de plus en plus de collectifs “TransPédéGouines” qui se réapproprient des insultes francophones pour s’opposer autant à l’hétéro- qu’à l’homonormativité. Cependant, “queer” ne fonctionne pas tout à fait comme “pédé” ou “gouine” ou même comme les autres identités qui forment le sigle “LGBTQIA+”. Les réalités qu’il englobe sont en effet plus larges ( voir “2. Terme coupole”).
S’identifier comme queer signifie s’identifier en opposition aux normes binaires cisnormatives et hétéronormatives. C’est aussi souvent une manière de rejeter les pressions normatives qui existent au sein même des mouvements LGBTQIA+ (par exemple les injonctions à la monogamie, au mariage, à une expression de genre normative et binaire ou au contraire explicitement hors-norme, …).
Cependant, chaque groupe à tendance à reproduire de nouvelles normes - celles-ci nous permettent de nous organiser en tant que groupes sociaux. Les pressions normatives existent donc y compris au sein des communautés queers. Celles-ci peuvent se manifester au niveau de l’apparence (style vestimentaire et cosmétique), du “passing” (être reconnaissable au premier coup d’oeil comme n’étant pas cis-hétéro), des politiques (se revendiquer comme anti-capitaliste ou vegan par exemple),... Mais les revendications qui se cachent derrière l’identité queer sont différentes pour chacun·e. Pour certaines personnes, elles feront partie de l’intime et resteront privées. D’autres vivront leur identité en se démarquant le plus possible de leur perception des normescis et hétéro ou en s’ancrant dans des codes propres à la communauté queer. Il existe plus qu’une manière de se revendiquer queer. Personne n’a le droit de décider ce que le terme veut dire pour vous, à part vous-même. “Queer” est une identité qui ressort de l’auto-détermination, seul l’individu concerné est donc capable de définir sa propre queerness.
Certaines personnes combinent une identification au terme “queer” à d’autres “étiquettes”. Par exemple, une personne peut s’identifier comme queer et bisexuelle à la fois. Cependant, pour certain·e·s, l’adjectif “queer” se suffit à lui-même. Dans ce cas, l’identification queer indique souvent un désir de ne pas se sentir restreint·e par des catégories identitaires qui ne laissent que peu de place à la fluidité des expériences personnelles et de l’identité (cf. nos différents articles sur les homo- et transnormativités).
Certaines personnes utilisent également le mot “queer” pour ne pas avoir à citer leurs autres identités (parce que celles-ci sont trop nombreuses, jugées pas assez connues, parce qu’elles ne sont pas indépendantes les unes des autres…) Dans ce type d’utilisation, le terme “queer” se rapproche alors d’une deuxième signification.
La deuxième utilisation du terme “queer” est en tant que terme coupole, qui remplace alors le sigle LGBTQIA+ et inclut les mêmes réalités que ce dernier. L’idée est que le mot “queer” englobe toutes les identités qui sont rejetées par les systèmes normatifs liés au genre, à la sexualité et aux caractéristiques sexuées. Le terme serait donc tout aussi - voir plus - inclusif que “LGBTQIA+”. Cet usage de “queer” en tant que terme coupole est plus répandu dans le monde anglo-saxon qu’en francophonie, mais certain·e·s francophones en font tout de même l’usage.
Il est par contre important de noter que l’utilisation de “queer” comme terme coupole est parfois contestée. En effet, certaines personnes le considèrent encore comme stigmatisant, dû à son passé péjoratif, et d’autres n’adhèrent pas aux connotations politiques qui sont associées au mot. Pour d’autres encore, l’utilisation de “queer” comme terme coupole efface justement les revendications spécifiques du terme en les rattachant à celles du mouvement LGBTQIA+ dans son ensemble, qui serait considéré comme moins radical.
Il existe un domaine dans lequel le terme “queer” a supplanté tout autre sigle et acronyme pour aborder les luttes et identités LGBTQIA+ : celui de l’université. C’est dans les années 1990 que se sont développées les théories queers (“queer theory”) et le domaine des études queers (“queer studies”). Bien que profondément liées aux disciplines existantes des études gays et lesbiennes, ainsi qu’à l’émergence des études trans, les études queers se démarquent de ces autres domaines.
Le projet spécifique des études queers est de remettre en question les régimes normatifs touchant au genre et à la sexualité. C’est un domaine qui est intrinsèquement lié aux milieux politiques et militants, mais qui transpose également les luttes queer aux domaines philosophiques et culturels.
Pour plus d’informations sur ce domaine d’étude, nous vous invitons à lire notre article dédié.
En conclusion, le terme “queer” est complexe et ambigu. Il s’agit d’une identité anti- ou post-identitaire, d’un terme à la fois stigmatisant et revendicateur, d’un outil militant et académique. Cette complexité associée à l’héritage anglo-saxon du mot peuvent justifier un désir d’abandonner ce terme et de lui en substituer d’autres (comme “TransPédéGouine”). Chacun·e est libre de s’approprier le terme “queer” ou pas, mais il reste important de reconnaître la liberté et la puissance que certain·e·s tirent de cette identification versatile.
C’est un terme qui accueille le questionnement et la fluidité et qui permet de faire communauté au-delà des étiquettes.
Merci à Emmanuel Hennebert du collectif Let's Talk About Non-binary pour son aide à la rédaction de cet article.