Cisnormativité

Selon l’office québécois de la langue française, la cisnormativité est un “[s]ystème de pensée fondé sur la présomption que [l’identité cisgenre] est la norme et qui privilégie les personnes cisgenres au détriment des personnes trans. ” 1 C'est un phénomène social qui contribue à l'invisibilisation des personnes trans et de leurs réalités, que ce soit fait de manière consciente ou non. La cisnormativité est en général associée à l’hétéronormativité. D’après Judith Butler, la vision dominante du genre présuppose une “continuité causale entre le sexe [biologique], le genre et le désir”. 2

La cisnormativité peut se manifester de différentes manières. À la base de ce système se trouve la présomption que toute personne est cisgenre “par défaut”. L’identité cisgenre est donc considérée comme “plus valable” et n’a pas besoin de se justifier, alors que la transidentité est constamment remise en question. Dans un système cisnormatif, la transidentité - si son existence est même admise – est toujours vue comme une déviation de la norme qui doit s’expliquer, et non pas comme un possible parmi d’autre, aussi accessible à tout individu qu’une identité cisgenre.

D’un côté, la cisnormativité participe à l’invisibilisation de la transidentité et des identités qui ne se revendiquent ni cis ni trans (comme certaines personnes agenres ou non-binaires). Pour protéger le caractère “par défaut” de l’identité cisgenre, la possibilité même de la transidentité est tue. Ceci peut se manifester par un silence total sur les thématiques transgenres, qui rend l’accès à une compréhension de la transidentité impossible. Cela peut aussi se manifester par la pression exercée sur les personnes trans les forçant à elles-mêmes taire leur transidentité : il existe une forte pression sociale, parfois même au sein des milieux LGBTQIA+, encourageant le “passing” à tout prix et poussant les gens à garder leur transidentité ou leur passé trans comme un secret. Bien sûr, chaque personne est libre de révéler et/ou revendiquer sa transidentité ou pas. Il existe de nombreuses situations où il est insécurisant de le faire. Il peut aussi s’agir d’un choix tout à fait conscient d’une personne de ne pas/plus s’identifier comme trans à un moment de son parcours. Cependant, l’existence d’une pression sociale externe qui encourage au secret participe à l’invisibilisation des transidentités, et doit pour cette raison être remise en question.

En parallèle de ce processus d’invisibilisation, la cisnormativité se révèle également via tous les mécanismes qui normalisent l’identité cisgenre en opposition à la transidentité. Contre-intuitivement, cela peut passer par une sur-visibilisation de la transidentité, mais qui sera alors toujours présentée comme un phénomène “hors-norme”, marqué par le sensationnalisme. Par exemple, on peut questionner le rôle du tag “trans” dans les sites de contenus pornographiques mainstream. En effet, l’existence d’une telle catégorie permet de visibiliser la transidentité, mais la réduit à quelque chose “à part” des catégories générales et potentiellement même à un fétiche. Ce mécanisme de marginalisation au niveau de l’organisation des plateformes n’exclut pas les efforts d’acteur·ice·s trans qui travaillent à normaliser leur existence et leur sexualité.

Les mécanismes qui nourrissent la cisnormativité passent également par la classification historique de la transidentité comme une maladie mentale et la persistance du diagnostic de dysphorie de genre. La stigmatisation persistante des maladies mentales et la définition de la transidentité comme un “trouble” continuent à marginaliser cette dernière face aux identités cisgenres.

La cisnormativité va généralement de pair avec l’hétéronormativité. En 2012, la sociologue M. Worthen a d’ailleurs proposé le terme hétéro-cis-normativité : “J'identifie l'hétéro-cis-normativité comme un système de normes, de privilèges et d'oppression qui organise le pouvoir social autour de l'identité sexuelle et de l'identité de genre, dans lequel les personnes hétérosexuelles cisgenres se situent au-dessus de toutes les autres et, par conséquent, les personnes LGBTQ sont dans une situation de désavantage systémique.” 3

Selon Worthen, l'hétéro-cis-normativité est un modèle permettant d'expliquer l'antipathie à l'égard des personnes LGBTQIA+ (dont la transphobie peut être un symptôme). L’homosexualité et la transidentité seraient ainsi des “attaques” à un systèmes de normes considérées comme “naturelles”.

Un exemple du lien entre cis- et hétéro-normativité est la pression que le corps médical a longtemps exercé (et parfois exerce encore) sur les personnes souhaitant entamer une transition de genre pour s’assurer qu’elles soient hétérosexuelles dans leur genre “d’arrivée”. Un autre exemple du poids de ce système est le fait qu’un homme cis hétérosexuel attiré par une femme trans va éprouver la crainte de devenir/d’être perçu comme homosexuel. L’hétéro-cis-normativité est donc un système complexe qui articule toujours l’orientation sexuelle et l’identité de genre l’une par rapport à l’autre. Dans ce système, seule l’identité cisgenre et hétérosexuelle est perçue comme stable et acceptable, ce qui justifie un certain nombre de privilèges.

Merci au collectif Let's Talk About Non-binary pour son aide à la rédaction de cet article.

Sources

[1] https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26532444

[2] Butler, Judith. Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity. Routledge; 1990. Cité dans Frohard-Dourlent, 2016.

[3] Worthen, Meredith G. F. Queers, Bis, and Straight Lies: An Intersectional Examination of LGBTQ Stigma. Routledge; 2020. p. xv.

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