20/11/2024

Journée Internationale du Souvenir Trans 2024

Chaque 20 novembre, nous nous rassemblons pour commémorer les décès des personnes trans* assassinées à cause de la transphobie, et pour mettre en lumière les violences qu’elles subissent au quotidien. Cette année, 350 meurtres de personnes transgenres ont été signalés dans le monde, faisant de 2024 l'une des années les plus meurtrières depuis le début des recensements en 2008. Ces chiffres alarmants montrent clairement que la transphobie et les mouvements anti-genres gagnent du terrain.

Face à cette montée inquiétante des discours de haine et des violences, il est impératif de renforcer les mesures de protection et d'agir pour garantir la sécurité et les droits des communautés trans.

Pour cette journée de commémoration, nous avons choisi de mettre en avant 5 personnalités trans* qui, par leurs luttes et leur engagement, ont contribué à bâtir un monde plus juste.

Si vous souhaitez consulter les chiffres et statistiques concernant ces violences, rendez-vous sur ces pages :

https://tgeu.org/will-the-cycle-of-violence-ever-end..

https://www.transremembrance.org/the-data

Leslie Feinberg est un·e militant·e et écrivain·e transgenre dont les écrits et l’activisme ont eu un impact considérable sur de nombreuses personnes transgenres, lesbiennes et toute personne rejetant les normes de genre oppressives. Feinberg se définissait comme “stone butch”, une personne lesbienne qui s’approprie les codes d’expression genrée masculins. Leslie Feinberg utilisait différents pronoms en fonction des contextes, adoptant souvent “elle/elle” mais aussi “il/lui” ou le néo-pronom anglais “zie/hir” selon ses interlocuteurs.

Né·e en 1949 aux États-Unis, Leslie Feinberg publie en 1994 Stone Butch Blues, un roman emblématique de la littérature queer. Inspiré par son vécu, le livre relate les expériences d’une personne qui se heurte aux normes de genre traditionnelles et met en lumière l’oppression brutale subie par les communautés LGBTQIA+ dans les Etats-Unis des années 1950, alors en pleine expansion industrielle. Tout en décrivant les descentes de police fréquentes dans les lieux LGBTQIA+ et l’ostracisation qu’un outing pouvait causer, le roman met en avant la camaraderie de la classe ouvrière et une solidarité transcendant les identités raciales, sexuelles et de genre.

Subissant de la discrimination, Leslie Feinberg a longtemps gagné sa vie en cumulant des emplois précaires et mal rémunérés, notamment en usine. Après son installation à New York, Feinberg s’implique dans de nombreuses campagnes de mobilisation, particulièrement en faveur des droits des travailleur·euses et contre le racisme. Souffrant de la maladie de Lyme et d’autres co-infections pendant des décennies, les préjugés persistants contre son identité et son expression de genre ainsi que le manque de recherche concernant cette maladie l’empêchent d’accéder aux soins nécessaires. Leslie Feinberg décède en 2014 des suites de complications liées à la maladie de Lyme, laissant un héritage inestimable de lutte et de solidarité au sein de la communauté LGBTQIA+.

Lucy Salani, figure historique transgenre italienne, est reconnue comme la seule personne transgenre ayant survécu aux camps de concentration nazis. Née dans les années 1920 dans le nord de l’Italie, Lucy grandit à Bologne et, durant sa jeunesse, s’identifie comme un homme homosexuel. Rejetée par sa famille, elle est envoyée dans l’armée fasciste italienne, qu’elle déserte rapidement. Elle est ensuite contrainte d’intégrer l’armée nazie, qu’elle déserte également, mais est capturée et envoyée dans un camp de travaux forcés en Allemagne. Elle s’en échappe avant d’être reprise et déportée à Daschau en 1944. Lucy y est marquée d’un triangle rouge, signe réservé aux prisonniers politiques et déserteurs, et endure des tortures répétées pendant six mois, jusqu’à la libération du camp par les forces américaines en 1945, alors qu’elle n’a qu’une vingtaine d’années.

Après la guerre, Lucy vit à Rome et à Turin, où elle travaille comme tapissière et décoratrice d’intérieur. Elle fréquente les communautés transgenres et les cabarets travestis, notamment à Paris. Au milieu des années 1980, elle s’installe à Londres pour bénéficier d’une opération d’affirmation de genre. Plus tard, elle retourne à Bologne pour s’occuper de ses parents vieillissants. Elle reste très active au sein de mouvements transgenres, LGBTQIA+ et antifascistes.

À la fin des années 2010, l’organisation trans Movimento Identità Trans alerte le public sur la situation de précarité et d’isolement dans laquelle se trouve Lucy. La sécurité sociale italienne lui refuse l’accès à une maison de retraite, ses papiers d’identité indiquant toujours un genre masculin. Cette situation discriminatoire inacceptable suscite l’indignation de la communauté LGBTQIA+ européenne. Elle décède en 2023 à l’âge de 98 ans. La vie de Lucy Salani a fait l’objet d’une biographie et de plusieurs documentaires. Elle a été honorée par la ville de Bologne en 2020 en tant que “témoin de la liberté et de la résistance”.

Petra De Sutter, Vice-Première ministre et ministre de la Fonction publique et des Entreprises publiques de Belgique, est une figure politique du parti écologiste flamand Groen. Elle est la première femme transgenre à occuper un poste ministériel en Europe.

Originaire de Flandre-Orientale, elle est spécialiste en fertilité et en médecine reproductive à l’Université de Gand, et professeure depuis les années 2000. Elle entreprend sa transition de genre dans la quarantaine. En 2014, elle se présente aux élections européennes sur la liste du parti Groen. Elle est ensuite cooptée et devient la première sénatrice transgenre en Belgique. Quelques mois plus tard, elle fait son coming out public dans la presse néerlandophone et francophone, devenant une figure publique engagée pour les droits des personnes transgenres. Au grand étonnement des analystes politiques internationaux, l’annonce de la transidentité de Petra de Sutter n’a pas suscité de controverse majeure dans l’opinion publique belge ni entravé son parcours politique.

En tant que sénatrice, elle s’implique activement au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, où elle est rapporteuse sur les droits des enfants, en particulier sur les questions entourant la gestation pour autrui (GPA). Elle préside également le Groupe de travail sur les femmes, un rôle dans lequel elle se consacre à la promotion de l’égalité de genre. En 2018, elle devient conseillère communale de Horebeke, puis est élue députée européenne en 2019, où elle siège dans le groupe Verts/ALE. En octobre 2020, Petra De Sutter est nommée vice-Première ministre dans le gouvernement De Croo. Elle poursuit son engagement en faveur des droits humains, de l’égalité et de l’écologie et est élue députée à la Chambre des représentants lors des élections législatives de 2024.

Les personnes transgenres ont toujours existé. Cependant, il peut être délicat d’affirmer qu’une figure historique est une personne transgenre pour différentes raisons. Premièrement, nos concepts et terminologies actuels ne s’appliquent pas nécessairement à des époques et cultures passées. Deuxièmement, les historien·nes ont souvent interprété les vies de ces figures à travers une perspective cis-hétérocentrée, rendant complexe la mise en évidence de vécus qui pourraient aujourd’hui évoquer la transidentité.

Kalonymus ben Kalonymus ben Meir, né à Arles au XIIIe siècle, est l'une de ces figures singulières. Rabbin originaire de Provence, philosophe et traducteur, il a été envoyé à Rome pour une mission scientifique où il a rapidement gagné le respect de notables juifs pour son érudition. En 1322, Kalonymus rédige Even Bohan, un traité religieux et éthique, dont un des extraits est un poème dans lequel il exprime une profonde tristesse d’être né homme et une forte aspiration à vivre en tant que femme.

Dans ce poème, Kalonymus ben Kalonymus contemple son expérience genrée à travers le prisme de sa foi. Kalonymus implore le seigneur de le rendre femme, ce qu’il considère comme une bénédiction. Il mentionne la souffrance qu’il endure tout au long de sa vie d’homme, même s’il continue à bénir le seigneur malgré qu’il ne l’ait pas fait femme. Ce poème met en exergue de nombreux thèmes qui résonnent aujourd’hui avec la transidentité : le sentiment de ne pas se reconnaître dans le genre assigné à la naissance, le rejet de certaines caractéristiques corporelles genrées, le désir de vivre selon un rôle de genre différent et la souffrance d’être contraint dans une identité de genre qui ne correspond pas. Qu’on considère Kalonymus ben Kalonymus comme une figure transgenre historique ou non - un sujet de débat parmi les historien·nes et spécialistes de la tradition hébraïque - ce texte reste un bel exemple que la non-conformité de genre a toujours existé, dans toutes les époques et tous les milieux de la société.

Paul B. Preciado, chercheur et écrivain espagnol, est une figure importante des mouvements féministes, queer et transgenres européens. À travers une œuvre théorique, philosophique et autobiographique dense, Preciado questionne les constructions sociales du genre et le rapport au corps, et déconstruit les normes dominantes qui entourent le sexe, le genre et la sexualité. Ayant exploré différentes façons de définir son propre genre au cours de sa vie, et aspirant à vivre en dehors des prescriptions binaires de la société, il choisit de s’identifier au masculin à partir de 2015.  

Né dans les années 1970 en Espagne et ayant grandi dans une famille catholique, Preciado étudie à New York dans les années 1990 avant de réaliser un doctorat en architecture à Princeton. Il s’installe à Paris au début des années 2000 et devient une figure importante des mouvements féministes, queer et antiracistes français. Son œuvre interroge notamment l’autorité médicale et pharmacologique sur les corps. Dans son livre Testo Junkie, paru en 2008, Preciado décrit son expérience de prise de testostérone en gel et les changements induits par les hormones masculinisantes, s’articulant autour de la déconstruction de son propre genre et de sa relation avec sa partenaire de l’époque, l’écrivaine Virginie Despentes. A ce récit autobiographique se mêle une analyse politique des substances de transformation corporelle — pilule contraceptive, Viagra, produits dopants, Prozac, androgènes et œstrogènes cliniques. Preciado désigne notre ère moderne comme « pharmacopornographique », où le contrôle social inhérent au capitalisme s’exerce par la régulation des corps.

Paul B. Preciado est aujourd’hui un activiste queer de renom. Son œuvre continue, à l’instar de celle de Judith Butler, d’ouvrir des perspectives nouvelles dans les champs théoriques et philosophiques des études trans.

Sources

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